Podchaser Logo
Home
Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Released Saturday, 11th November 2023
Good episode? Give it some love!
Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Dans le laboratoire de la transparence, avec Lilia Hassaine

Saturday, 11th November 2023
Good episode? Give it some love!
Rate Episode

Journaliste et romancière, Lilia Hassaine est l’auteure de trois romans dont Panorama qui vient de paraître aux éditions Gallimard. Les romans sous la plume de cette jeune auteure se caractérisent par une écriture nerveuse au service d’une imagination réaliste et puissante. Finaliste du prix Renaudot des lycéens qui sera décerné le 15 novembre prochain, Panorama ne déroge guère à la règle. Roman futuriste, à la narration structurée et implacable, il puise son matériau dans les dérives et les failles du réel.

2049 comme 1984. Tout comme le Britannique Orwell, Lilia Hassaine a campé l’intrigue de son nouveau roman dans un avenir proche. Roman dystopique, Panorama raconte à quoi pourrait ressembler notre monde de demain, un monde dont le maître-mot sera peut-être « Trans-pa-rence ». Or « transparence » se révèlera être une hypocrisie nouvelle derrière laquelle se cachent moult rapacités humaines et bassesses.

Magasin d’ameublement

C’est en se retrouvant un soir devant la vitrine éclairée d’un magasin d’ameublement à Paris que Lilia Hassaine a mesuré les dangers de notre société contemporaine qui fait de la quête exclusive de la transparence le b.a-ba de son organisation. L’auteure a raconté que l’idée de ce récit est née lors d’une promenade nocturne à travers Paris, lorsqu’elle s’est retrouvée devant la vitrine éclairée d’un magasin d’ameublement.

« Une salle de bain, une chambre éclairée dans la nuit, se souvient-elle. J’ai eu l'impression d'entrer chez quelqu'un. J’ai le sentiment d'entrer dans une intimité à ce moment-là. Et cette sensation un peu étrange m'est restée pendant quelque temps et j'ai commencé à imaginer que toute la société serait comme ça, notamment en termes de violence, de maltraitance, toutes les choses qu'on s'empêche de faire parce qu'on fait qu'on est regardé. Donc c'est vraiment parti de ça. Et ensuite, il a fallu inventer l'histoire autour. »

Le roman s’ouvre sur des événements fictionnels survenus en 2029. Hassaine imagine que la France connaît une nouvelle révolution, cette fois, une révolution urbanistique, architecturale. Tout Paris ressemble désormais à un vaste magasin d’ameublement, du moins les quartiers de la capitale qui ont choisi de vivre selon la règle de la transparence. Les murs de pierre et de béton des maisons ont été abattus pour être remplacés par des murs de verre. C’est la fin de la vie privée.

« Revenge Week »

Or cette transformation radicale des villes de France et de Navarre a une histoire. Elle s’est faite dans la foulée d’une « revenge week », une semaine de vengeance pendant laquelle les victimes des crimes familiaux se vengent des violences perpétrées contre elles, s’en prenant elles-mêmes qui à un père fouettard, qui à un mari violent, qui à un oncle vicelard. Le sang va couler dans les rues de Paris.

Lorsque le calme revient, les politiques reprennent les choses en main. Ils rédigent une nouvelle Constitution consacrant la construction de maisons de verre où tous vivront désormais sous le regard protecteur de leurs voisins. Les législateurs pensent que cela empêchera les gens de se mettre à l’abri des regards pour commettre des crimes. Les citoyens sont d’accord pour sacrifier leur vie privée et intime pour pouvoir vivre en sécurité. Le taux de criminalité tombe drastiquement et les policiers se retrouvent au chômage jusqu’au jour où…

Tous se souviennent du chaos absolu qui s’est emparé des villes depuis le jour où un couple ainsi que leur fils adolescent ont disparu dans un quartier huppé de la capitale. Personne n’a rien vu venir. Comment peut-on disparaître dans une cité hyper protégée et malgré la vigilance des voisins ? L’enquête est confiée à Hélène, une ex-commissaire, double de l’auteure. Le roman social bascule brutalement dans le thriller et Hélène de découvrir la condition humaine dans toute son abjection. La quête de la transparence et de la perfection à tout prix a transformé les citoyens en des êtres narcissiques et la société en un lieu déshumanisé.

« Le caractère figé de la perfection est quelque chose qui est assez effrayant et qui est une conséquence de la société de la transparence que j'ai imaginée, souligne l’auteure. C’est une société qui laisse peu de place à l'ambiguïté, à la distance, à la réflexion. Je critique toutes les tentations extrêmes du bien. Et c'est vrai que le fait de tendre vers cette société de la transparence fait qu'on se rend compte peu à peu aussi que poussées à l'extrême, ces valeurs utopistes deviennent excluantes. Elles séparent et divisent. »

Acharnement social et fluidité

Romancière talentueuse, Lilia Hassaine s’est fait connaître en publiant en 2019 son premier roman L’œil du paon, un récit métaphorique sur l’exil et la nostalgie. Soleil amer, son second roman, inspiré de l’histoire de la propre famille de l’auteure tiraillée entre l’Algérie natale et la France, se partage entre la petite et la grande histoire. À la fois récit futuriste et roman social, Panorama puise l’essentiel de son matériau dans les dérives du réel et se lit comme une fascinante critique de notre modernité, de ses failles et de ses faux espoirs.

On lira Panorama aussi pour son imagination originale, tenue en laisse par son écriture maîtrisée, structurée selon une logique narrative implacable. Lilia Hassaine écrit en journaliste (chroniqueuse à la télé) qu’elle a été. Son écriture est nerveuse, douée d’un sens rare d’économie de moyens et d’efficacité narrative.

Ce qui frappe aussi quand on écoute cette jeune auteure d’une trentaine d’années, c’est la quête personnelle qui irrigue son aventure littéraire. « J’essaie de me connaître de livre en livre, en me surprenant en permanence par telle ou telle facette de ma personnalité que je n’avais pas osé explorer », aime-t-elle à dire. Et d’ajouter : « En écrivant, je cherche à savoir pourquoi j’écris. »

Panorama où se mêlent l’expérience personnelle et la réflexion, critique et introspection, est un roman particulièrement accompli, qui donne la mesure du talent de l’auteure. C’est la naissance d’une plume majeure, avec une rare confiance en soi. Une plume qui a l’acharnement social d’Annie Ernaux et la fluidité de Duras.

_____________________________

Panorama, par Lilia Hassaine. Gallimard, 236 pages, 20 euros.

Show More

Unlock more with Podchaser Pro

  • Audience Insights
  • Contact Information
  • Demographics
  • Charts
  • Sponsor History
  • and More!
Pro Features