Podchaser Logo
Home
De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

Released Saturday, 23rd March 2024
Good episode? Give it some love!
De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

De la race en Amérique, avec Ta-Nehisi Coates

Saturday, 23rd March 2024
Good episode? Give it some love!
Rate Episode

Lauréat du prestigieux National Book Award, « Between the world and me » sous la plume de l’intellectuel noir américain Ta-Nehisi Coates vient d’être réédité en français dans une nouvelle traduction. Dans cet essai écrit sous forme de lettre adressée à son fils, l’auteur dresse un portrait à la fois lucide et poignant d’une Amérique taraudée par la question raciale.

RFI : Votre essai Entre le monde et moi est à sa deuxième édition en français. Il s’intitulait La colère noire dans la première édition. Pourquoi avez-vous senti le besoin de changer le titre ?

Ta-Nehisi Coates : Ah, tout simplement parce que je me suis rendu compte que la colère n’est pas le sujet ici. La rage, la colère sont des clichés qui envahissent les écrans chaque fois que les médias parlent des Africains-Américains. Nous associons systématiquement l’Amérique noire aux émeutes, aux manifestants lançant des pierres ou incendiant des centres-villes. Or, moi, qui ai grandi à Baltimore, au cœur du monde africain-américain, quand je pense à mes parents, à mes frères et sœurs ou à mes amis, ce n’est pas la colère qui me vient à l’esprit, mais plutôt leur peur, leur sentiment de vulnérabilité. Je vous assure, vu de l’intérieur, c’est ce qu’on voit en premier. Il me semble que la peur est le privilège des blancs. Elle leur sert de prétexte pour justifier les pires abominations commises contre leurs concitoyens noirs. Pourquoi ne parle-t-on jamais de nos peurs ?

Votre livre est un essai, écrit sous forme de lettre adressée à votre fils. Comment est née l’idée de ce livre ?

Je n’avais pas encore tout à fait 25 ans quand mon ami Prince Jones, que j’avais rencontré à l’université, a été tué par un officier de police. Il a eu le malheur d’être pris pour le dealer de drogue qu’apparemment le policier traquait depuis quelque temps. Depuis cette tragédie, j’ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre pourquoi quelqu’un comme Prince, qui venait d’une famille respectable et qui a toujours eu une conduite personnelle irréprochable, pouvait finir comme il a fini, assassiné par la police. Il se trouve que c’était aussi l’époque où mon fils venait de naître. J’étais rongé par la culpabilité de le voir grandir dans un monde gangrené par la violence raciste. D’une certaine façon, on peut dire que la coïncidence de ces deux événements a été le point de départ de ma prise de conscience politique. Entre le monde et moi est une réflexion sur la mort de Prince Jones, mais c’est aussi le récit de ma quête de frontière morale entre le bien et le mal.

Vous écrivez : « Dans ce pays, annihiler le corps noir est une tradition et cette tradition fait partie du patrimoine national ». Que vouliez-vous dire ?

Cette déclaration résume ce que je retiens de mes lectures des historiens et des penseurs noirs. Je pense notamment à Frédérick Douglass, né esclave au début du XIXe siècle, dans l’État du Maryland, où moi aussi j’ai vu le jour un siècle et demi après Douglass. L’homme était un autodidacte : il dut bricoler sa philosophie en s’arrachant à la vision du monde que lui avaient imposée les esclavagistes. Rien n’a changé depuis l’époque de Douglass pour les noirs, qui veulent penser pour eux-mêmes, en s’arrachant à l’emprise de la pensée dominante. Qualifiée du nom méprisant de « wokisme » en France, cette démarche des opprimés pour se réapproprier le monde, dérange. Elle est perçue comme une menace par l’establishment justement parce qu’elle propose une vision concurrente du monde et du vivant.

Non moins dérangeante est votre affirmation dans votre essai que « la race naît du racisme et non le contraire ». Rappeler que la race est une construction sociale a dû vous attirer des soucis dans votre pays en cette période de suprémacisme montant ?

Oui, oui, oui… Voyez-vous, la définition de race change suivant les époques et les pays. Nous savons que l’origine africaine ou européenne a peu ou prou à voir avec le fait d’être noir ou blanc. En Amérique, la perception qu’on a de l’homme noir a été déterminée par les impératifs de l’esclavage et le besoin qu’avaient les planteurs de disposer de cette main-d’œuvre corvéable à merci. Ils ont donc défini la négritude selon un très large éventail de couleurs de peau. L’histoire africaine-américaine abonde en personnalités qui étaient génétiquement autant Africains qu’Européens, parfois peut-être plus Européens qu’Africains. Mais aux États-Unis, dans la classification des populations par origines ethniques, elles sont classées parmi les noirs.

Entre 2008 et 2016, les États-Unis avaient à leur tête un président noir. Diriez-vous que l’administration Obama a traité la question de race avec une plus grande compréhension que les administrations précédentes ?

Non, je ne le crois pas. Dans ses déclarations publiques sur les noirs, le président Obama se permettait des réflexions que ses prédécesseurs blancs n’auraient jamais osé soutenir. Il estimait, par exemple, que c’était aux familles noires d’assumer la responsabilité du sous-développement de leur communauté. Je ne partage pas du tout cet avis car, selon moi, le suprémacisme blanc est la véritable cause de l’arriération des noirs. Il n’est pas vrai que les parents noirs ne s’investissent pas dans l’avenir de leurs enfants. Il n’est pas vrai que les aptitudes parentales des familles noires laissent à désirer. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que la population noire a été systématiquement pillée de ses forces vives tout au long de son histoire. C’était le cas pendant les périodes de l’esclavage et la ségrégation. Elle continue d’être désavantagée encore aujourd’hui sur de nombreux plans, comme je l’ai raconté dans mon plaidoyer pour les réparations, publié dans The Atlantic, il y a dix ans. Je n’ai pas changé d’avis depuis. Je suis persuadé que si l’Amérique reconnaissait réellement sa dette envers sa population noire, on verra en l’espace de quelques décennies la communauté afro-américaine s’épanouir.

Entre le monde et moi. Lettre à mon fils, par Ta-Nehisi Coates. Traduit de l’anglais par Karine Lalechère. Editions Autrement, 198 pages, 19 euros.

Show More

Unlock more with Podchaser Pro

  • Audience Insights
  • Contact Information
  • Demographics
  • Charts
  • Sponsor History
  • and More!
Pro Features