Il y a trente ans, le régime blanc sud-africain tombait. La littérature a joué un rôle de premier plan dans cette révolution démocratique. Les révolutionnaires de Pretoria et de Johannesburg avaient pour noms : Nadine Gordimer, André Brink, Breyten Breytenbach et John Coetzee, romanciers, poètes, essayistes qui ont profondément marqué les imaginaires. Qui sont leurs héritiers ? Comment la littérature sud-africaine a-t-elle évolué depuis trois décennies ? Entretien avec Georges Lory, traducteur d’afrikaans et observateur averti de l’évolution des lettres sud-africaines et de son renouveau.
RFI : Peut-on dire que la transition démocratique des trente dernières années a stimulé la créativité littéraire en Afrique du Sud ?
Georges Lory : Très vivement. Il y a eu une floraison de livres, une floraison de prix littéraires aussi, qui fait qu’il y a beaucoup de jeunes auteurs qui ont commencé à écrire. Il y a aussi des dramaturges, il y a aussi des poètes, et même récemment des auteurs de BD. La langue qui domine en Afrique du Sud – il y a onze langues officielles – ça reste l’anglais et la majeure partie des auteurs et de jeunes auteurs noirs ont choisi d’écrire en anglais. Néanmoins, parmi les Sud-Africains de langue maternelle bantoue, certains se sont plaints qu’ils n’arrivaient pas à faire publier leurs ouvrages en zoulou, en tswana. On a créé un prix spécialement pour la littérature en langues vernaculaires et il y a si peu de succès que pendant plusieurs années les prix n’ont pas été attribués et ça, c'est un peu dommage.
Et qu’en est-il de la production en afrikaans, qui a été au siècle dernier l’idiome privilégié de la sensibilité littéraire sud-africaine ?
La seule littérature qui résiste vraiment à l’anglais, c’est la littérature en afrikaans, avec là aussi des jeunes auteurs intéressants qui ont des choses à dire. Et, phénomène intéressant, l’émergence du kaaps, c’est l’afrikaans des métis parlé par les métis du Cap. Les deux figures de proue sont un couple : Ronelda Kamfer (1) et Nathan Trantaal (2) qui désormais écrivent leurs romans ou leurs poésies en kaaps. Alors, Ronelda a commencé par écrire des poèmes et je viens de terminer la traduction de son premier roman. Ça va s’appeler Le Cantonnement et c’est sa jeunesse difficile entre les banlieues métisses du Cap et les fermes où vivaient d’autres métis. Alors lui, Nathan Trantaal, son mari, a commencé par la BD et s’est mis maintenant à la poésie…
Qui sont aujourd’hui les équivalents des Gordimer, des Brink, des Coetzee, qui ont placé l’Afrique du Sud sur la carte littéraire du monde ?
Les quatre noms me viennent en tête : il y a Damon Galgut, (3) qui a obtenu le Booker Prize en 2021, il y a toujours Antjie Krog (4), invitée partout dans le monde parce qu’elle a une voix qui porte, elle a une poésie de combat, poésie féministe, une poésie écologiste. Il est plus modeste, mais il est aussi invité partout : Ivan Vladislavic (5), qui livre après livre, nous parle de Johannesburg. Ça reste sa ville de référence. Le quatrième nom qu’il faut avoir en tête, c’est Njabulo Ndebele, qui a écrit très peu de livres, un livre tous les cinq ou six ans, toujours des livres profonds où il y a matière à réflexion. Ndebele, il a été connu par Fools (6), du temps encore de l’apartheid. Il mettait en cause un certain nombre d’intellectuels noirs qui, sous prétexte de la lutte, avait un comportement tout à fait dur, soit avec les jeunes, soit avec les femmes. Il disait que la lutte anti-apartheid n’excusait pas tout. Je pense évidemment aussi à son Lamento de Winnie Mandela (7), qui est un livre qui reprend le thème millénaire de Pénélope, attachant la littérature sud-africaine à la littérature mondiale.
Qu’est-ce qui fait l’originalité de quelqu’un comme Damon Galgut, qui a obtenu le Booker Prize 2021 avec son roman La Promesse ?
Il a une façon de raconter des histoires, liées à l’Afrique du Sud, mais pas seulement, il est relié à beaucoup d’autres continents avec beaucoup de clarté. Le livre qui a eu le Booker Prize est une saga familiale, qui montre l’évolution des choses en Afrique du Sud, mais avec des métaphores frappantes. La Promesse se termine par un fiasco, des cendres qui doivent être répandues, mais qui, au lieu de partir dans la nature, vont aller se coller sur la maison familiale.
Bibliographie
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