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L'incontournable Maryse Condé

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Released Sunday, 7th April 2024
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Disparue dans la nuit du 1er au 2 avril, Maryse Condé était une grande voix des lettres françaises et francophones. Riche d’une trentaine de romans et d’essais, elle a contribué à inscrire les pensées et les inquiétudes du Sud global dans la francophonie. Retour sur l’œuvre et les thématiques de prédilection d’un monstre sacré de la « global literature ».

« L’écriture, c’est une force que vous avez en vous. Rien d’autre ne vous plaît autant. C’est impossible de dire, je crois, le fonds des choses. On est écrivain, on ne sait pas pourquoi… »

Ainsi parlait Maryse Condé, du mystère de l’écriture, de l’écriture comme phénomène inconnaissable. Quant à sa propre venue à l’écriture, voici deux ou trois choses que nous savons. Elle a commencé à écrire très jeune. À l’adolescence déjà, elle savait qu’elle voulait écrire. L’envie d’écrire est venue des livres qui l’entouraient dans sa maison en Guadeloupe. Ses parents étaient instituteurs, amoureux de la culture et de la littérature. Maryse Condé aimait raconter qu’à 12 ans, elle avait lu tout Victor Hugo. Elle avait envie de sortir du carcan des littératures de langue française et s’était tournée, adolescente encore, vers la littérature anglaise. À 16 ans, quand elle part pour la France, c’est pour faire des études d’anglais à la Sorbonne.

Ses biographes ont rapporté une émouvante anecdote concernant la découverte par la jeune Maryse de la littérature anglaise, alors qu’elle vivait encore en Guadeloupe. Connaissant son goût pour la littérature étrangère, une amie de sa mère lui avait offert pour ses dix ou douze ans un roman anglais qu’elle ne connaissait pas encore. Il s’agissait de Wuthering Heights d’Emily Brontë. L’action du roman se passe dans l’Angleterre du XIXe siècle : une histoire d’amour malheureux sur fond d’ambiance quasi-shakespearienne.

Sacrilège

Passionnée de fictions, Maryse dévora le livre en une nuit. Puis, c’est dans un état d’euphorie qu’elle retourna le lendemain chez l’amie de sa mère pour la remercier. « Un jour, tu verras, moi aussi, j’écrirais, lui dit-elle, et mes livres seront aussi beaux et poignants que celui d’Emily Brontë. » Or, au lieu d’encourager l’adolescente, la dame la houspille : « Qu’est-ce que tu racontes ? Les gens comme nous n’écrivent pas ! »

L’adolescente devenue grande écrivaine n’a jamais vraiment su ce qu’exactement l’amie de sa mère voulait lui dire. Elle n’avait pas droit d’écrire parce qu’elle était noire ? Ou parce qu’elle était femme ? Ou peut-être les deux ? Allez savoir. Toujours est-il que l’auteure de Ségou (Robert Laffont, 1984) et autres grands livres a souvent pris cette anecdote comme exemple de l’enjeu que représentait l’écriture pour la Guadeloupéenne qu’elle était. « Chaque fois, j’écrivais, j’avais l’impression de commettre un sacrilège », enrageait-elle.

Ce sentiment de commettre un sacrilège, la future écrivaine a su vite le surmonter pour écrire, comme sa vaste bibliographie en témoigne. Elle s’est fait connaître en publiant, en 1984, Ségou, une saga en deux volumes sur l’Afrique des grands empires jusqu’à l’arrivée des colonisateurs. Le livre s’est vendu à 200 000 exemplaires et a été traduit dans le monde entier. Ce roman est l’aboutissement de la quête africaine de l’auteure.

Lorsque Maryse Condé grandissait en Guadeloupe, sa famille ne lui avait jamais expliqué que la présence des Noirs aux Antilles n’allait pas de soi, que c’était le produit du processus historique d’esclavage et de colonisation. La quête des origines conduira la future romancière en Afrique où elle a vécu treize ans avant de regagner la France, puis les États-Unis où elle a fait carrière en tant qu’universitaire. Dans ses premiers romans autofictionnels, Heremakhonon (UGE, 1976) et Une Saison à Rihata (Robert Laffont, 1981), qu’elle a publiés dans les années 1970-80, elle a rendu compte de sa vie en Afrique, des drames, des rencontres, des réflexions aussi. Mais c’est avec Ségou qu’elle sort de l’anonymat. Ce livre a eu un grand impact sur les lecteurs français et francophones, comme en témoigne la romancière guadeloupéenne Gisèle Pineau (1), pour qui Maryse Condé a été un modèle de courage et persévérance dans sa quête de l’écriture : « C’est en lisant Ségou que j’ai découvert Maryse Condé à la télévision avec Bernard Pivot. Elle avait un charisme extraordinaire et je voyais déjà ce caractère très trempé, cette femme qui en a vu et puis qui a décidé d’écrire et de s’affirmer et de dire : "Je suis Guadeloupéenne, mais j’ai le droit d’écrire sur l’Afrique. Je vais raconter l’Afrique que je vois, moi, en tant qu’Afro-descendante." J’ai lu parallèlement à Maryse Condé, Toni Morrison, deux Afro-descendantes qui tracent un peu la même route. C’est un chemin de mémoire, c’est un chemin de connaissance, c’est un chemin d’apprentissage. Elles avancent sur cette route qui n’est pas si facile, celle de l’écriture, de la littérature. Pour moi, elles ont été des modèles indéboulonnables. »

Sorcellerie, métissage et retour à la terre natale

Maryse Condé aimait dire que « c’est l’Afrique qui m’a révélé à moi-même », mais son œuvre ne se réduit pas à l’Afrique. Or, l’Afrique est loin d’être le seul thème de l’œuvre de la romancière. Dans une seconde partie de sa carrière littéraire, elle s’emploiera à raconter sa terre natale : la Caraïbe, mais aussi l’Amérique du Nord. Dans Moi, Tituba, sorcière (Mercure de France, 1986) qui est sans doute l’un de ses romans les plus connus après Ségou, elle a retracé le parcours d’une femme de la Barbade, accusée de sorcellerie, et jugée pendant le célèbre procès des sorciers de Salem en 1692. Entre histoire et féminisme, ce roman raconte le récit véridique de son héroïne, que l’auteur parvient à arracher à l’oubli par la magie de son écriture pour la ramener à la Barbade au temps des nègres marrons et des premières révoltes d’esclaves.

Un autre roman important dans le corpus de Maryse Condé est sans doute La Migration des cœurs (Robert Laffont, 1995), qui est une réécriture post-coloniale des Hauts de Hurlevent, campé dans Cuba et Guadeloupe du XIXe siècle, mettant en scène les drames du métissage. Les livres les plus réussis de Condé sont peut-être ceux qui sont situés dans sa Guadeloupe natale, comme Victoire, les saveurs et les mots (Mercure de France, 2006) la délicieuse et émouvante biographie romancée de sa grand-mère maternelle, qui fut aussi une cuisinière hors pair. Cette Guadeloupe à laquelle Maryse Condé a dédié le prix Nobel alternatif qu’elle a obtenu en 2018, était une source d’inspiration constante, comme le rappelle Gisèle Pineau : « On part de la Guadeloupe ou on arrive ou on revient à la Guadeloupe et c’est un ballet incessant. Et les auteurs caribéens comme Maryse Condé parlent souvent dans leurs livres de ces voyages, de ces migrations. Je pense à La Migration des cœurs, Les Derniers rois mages, La Vie scélérate où il y a tous ces personnages qui vivent la Guadeloupe et qui quittent la Guadeloupe, qui haïssent la Guadeloupe, mais qui reviennent sur la Guadeloupe. La Guadeloupe est au cœur de la plupart de ses romans. »

Dans ses derniers romans, Maryse Condé s’est également inspirée de l’actualité récente, notamment du jihadisme dans son roman Le fabuleux et triste destin d’Ivan et d’Ivana, (JC Lattès 2017) paru en 2017. Partant de l’attentat de Montrouge au cours duquel une policière martiniquaise fut abattue par un terroriste noir, l’auteure s’interroge sur le phénomène de radicalisation, mais aussi sur la pertinence du mythe de la négritude. « La couleur de la peau est un épiphénomène et la race n’est pas primordiale », aimait-elle répéter, sans jamais nier sa dette envers Senghor et Césaire, pères de la négritude et les maîtres à penser et à « poétiser » de la grande dame des lettres françaises et francophones.

  1. Romancière guadeloupéenne, Gisèle Pineau a plusieurs romans à son actif, dont les plus récents ont pour titre Ady, soleil noir (2020), Le Parfum des sirènes (2018) ou encore L’Âme prêtée aux oiseaux (2016). Son nouveau roman La vie privée d’oubli vient de paraître aux éditions Philippe Rey.
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