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Beata Umubyeyi Mairesse, incontournable interprète des soubresauts de la postcolonie rwandaise (2ᵉ volet)

Beata Umubyeyi Mairesse, incontournable interprète des soubresauts de la postcolonie rwandaise (2ᵉ volet)

Released Sunday, 19th May 2024
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La romancière franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse est une survivante du génocide contre les Tutsis dont nous commémorons cette année le trentième anniversaire. Avec son nouvel ouvrage, Le Convoi, qui n’est pas un roman, elle livre le récit à la fois politique et intime de sa traversée de l’enfer génocidaire. Elle raconte sa propre histoire de fuite et de délivrance en l’inscrivant dans la grande histoire de la réappropriation de la mémoire collective par les dominés et les colonisés du monde. 

Paru en janvier, Le Convoi est le nouveau livre sous la plume de Beata Umubyeyi Mairesse. L’écrivaine franco-rwandaise est entrée en littérature par des romans et des nouvelles, avec sept ouvrages de fiction à son actif. Elle a aussi publié de la poésie.

Le dernier livre de Béata Umubyeyi Mairesse ouvre une nouvelle étape dans le parcours littéraire de cette auteure.. Ouvrage transgenre, à la fois témoignage, autobiographie, enquête et réflexion, l'ouvrage se lit comme un journal a posteriori, avec au centre les événements d’avril-juin 1994 que l’auteure a vécu de près, échappant de justesse à la tuerie qui fit 800 000 morts. Le « convoi » dans le titre est une référence au convoi humanitaire suisse qui permit à l’auteure de fuir le génocide en compagnie de sa mère et des enfants tutsis menacés.

Un titre chargé d’histoire

Le Convoi n’est pas un titre anodin. Il est chargé d’histoire et fait penser aux convois de la mort de la Seconde Guerre mondiale, en particulier aux trains qui ont conduit les victimes de la Shoah vers des camps de concentration et d’extermination. Faut-il s’étonner du choix de ce titre ? Sans doute pas, car les connaisseurs de l'œuvre de Beata Umubyeyi Mairesse savent combien elle s’est construite en résonance à la réflexion sur la Shoah.

C’est surtout le cas du dernier livre de la romancière rwandaise, qui renvoie dès les premières pages à Primo Levi, à Charlotte Delbo et à Ahron Applefeld. L'ouvrage puise son inspiration dans les travaux de reconstitution du passé de ces derniers face à la barbarie nazi. Ces auteurs sont les modèles en écriture de Beata Umubyeyi Mairesse. « Je trouve, écrit-elle, dans les récits des rescapés juifs des mots qui ont la forme exacte de ma solitude. »

A la seule différence près que le livre de l'auteure rwandaise ne raconte pas la trajectoire d’un convoi de la mort. Ici, il s’agit d’un « convoi de la vie », comme le rappelle l’écrivaine. Péniblement négociés par des humanitaires suisses avec les autorités rwandaises de l’époque, ces convois de la vie ont sauvé pendant les mois fatidiques de 1994 près d’un millier d’enfants. Après avoir narré ces événements sous la forme de la fiction dans ses précédents ouvrages, Beata Umubyeyi Mairesse revient dessus dans son nouveau livre, cette fois à la première personne, sous forme de récit, pour mieux « apprivoiser » ces événements historiques qu’elle raconte désormais en tant que « survivante », « enfant des convois ».

À lire aussi (1er volet)Dans les confins des mémoires étiolées, avec la romancière Beata Umubyeyi Mairesse

Le « making off »

Pour autant, Le Convoi ne se réduit pas à un récit de fuite et de survie. C’est ce qui fait d’ailleurs son originalité. L’ouvrage raconte à la fois l’opération de sauvetage des enfants et son making off. Défini comme un « récit d’événements réels », ce livre se lit comme un témoignage poignant, mais il se veut aussi hommage aux humanitaires suisses qui ont sauvé les enfants, avant de se clore sur une réflexion critique des images tournées par des Occidentaux qui ont fait connaître au monde la tragédie rwandaise, des images dans lesquelles les victimes deviennent parfois les figurants de leur propre histoire.

Sur la double, voire triple dimension de son récit, voici ce qu’a confié Beata Umubyeyi Mairesse à l’antenne de RFI: « Le Convoi est un récit qui propose deux histoires. La première est celle d’un témoignage de ce que j’ai vécu en 1994 et la façon dont j’ai survécu au génocide contre les Tutsis au Rwanda. D’abord, en me cachant avec ma maman et ensuite grâce à un convoi humanitaire d’une ONG suisse, Terre des Hommes. Et la deuxième histoire est celle de la quête que j’ai entamée il y a plus de quinze ans maintenant, quinze ans après les faits pour essayer de retrouver les traces de ce fameux convoi et des humanitaires et des enfants et des journalistes, toutes les personnes qui ont été présentes au moment de la traversée de la frontière le 18 juin 1994. »

Prise de pouvoir

La quête dont parle l’écrivaine est celle des photos de l’exfiltration de l’auteur et de sa mère en convoi humanitaire le 18 juin 1994, en plein drame rwandais. "Des gens nous ont dit, peu après notre sauvetage, nous avoir vues sur la BBC au moment où le convoi traversait la frontière entre le Rwanda et le Burundi », raconte Béata Umubyeyi Mairesse. Or ces images ne seront jamais retrouvées.

La quête de ces images constitue le fil rouge du récit que raconte Le Convoi. Chemin faisant, la photo manquante du couple mère-fille devient le symbole de la « silenciation » des victimes que dénonce Beata Umubyeyi Mairesse dans son livre, en particulier dans la dernière partie du récit.

« L’Occident a tendance à cantonner les rescapés dans le rôle de la personne qui vient témoigner mais qui n’est que dans le rôle de quelqu’un qui parle de sa perte, de son chagrin, s’insurge la romancière. On n’a pas été envisagé comme des gens qui étaient en capacité aussi d’avoir un discours réflexif sur notre expérience. Ça, c’était réservé aux spécialiste de l’Afrique, qui souvent sont des Occidentaux d’ailleurs. Il y a quelque chose de très politique aussi dans ça, de dire voilà j’ai vécu ça, mais je suis aussi en mesure de décortiquer, de comprendre l’histoire, d’y voir quelle est notre place, de la questionner. Les peuples colonisés ont longtemps été racontés par la métropole, et qu’il y a une nouvelle génération aujourd’hui. C’est une sorte de prise de parole, qui est une prise de pouvoir aussi, en disant qu’on va le faire depuis notre point de vue, avec nos mots, avec nos analyses à nous.»

C’est ce que fait Beata Umubyeyi Mairesse dans son livre, se réappropriant pas à pas sa « survie » à travers l’enquête minutieuse qu’elle a menée pour retrouver ses sauveteurs, mais aussi pour nouer des solidarités avec les solidarités avec les autres enfants des convois. La littérature rejoint ici la politique comme dans l’œuvre d’Aimé Césaire, le modèle « fondamental », auquel Beata a emprunté le titre de l’ultime chapitre de son livre : « L’heure de nous-mêmes (a sonné) ».

Récit politique et intimiste, Le Convoi ne ressemble à aucun autre livre de la romancière rwandaise. Il va encore plus loin dans la quête d’un passé que celle-ci ne s’est pas longtemps sentie « autorisée » à raconter. « Ce livre est le résultat d’un long cheminement, un long cheminement dans l’écriture et long cheminement dans la mémoire », explique l’écrivaine. Son écriture, à la fois intuitive et intelligente, alternant l’autofiction et l’appel au combat pour que le subalterne se réapproprie sa mémoire confisquée, fait de Beata Umubyeyi Mairesse une interprète incontournable des soubresauts de la postcolonie rwandaise.

 

Le Convoi, par Beata Umubyeyi Mairesse. Flammarion, 333 pages, 21 euros.

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